Le site Arrêt sur Images (ASI) mène en ce moment une campagne pour assurer son financement, via des abonnements et/ou des dons.
J'ai pu lire sur le site ou les réseaux sociaux des avis sur les émissions ou formats qui devraient être conservés, changés ou abandonnés, des reproches, des félicitations et des raisons de rester abonné ou pas.
Voici quelques raisons à mon sens d'être abonné ou de soutenir un média indépendant comme ASI.
« Indépendant » est souvent perçu comme signifiant indépendant de l'État, de ses subventions et surtout des intérêts privés de personnes fortunées comme Bolloré, qui possèdent leurs propres médias et font pression sur les autres via la manne publicitaire1.
Cependant, certains commentaires que j'ai lus demandent à garder telle ou telle émission, supprimer tel ou tel format, faire ceci ou cela. Je trouve très violent ce genre d'injonctions, qui sont exactement celles qu'un actionnaire donnerait dans son entreprise. On ne peut pas se dire pour l'indépendance et vouloir dicter l'action des personnes qu'on souhaite indépendantes. On peut donner son avis, faire des suggestions d'améliorations, des idées, mais cela s'arrête là.
Vous voudriez telle ou telle émission ? Eh bien faîtes-là, mais n'exigez pas, sous peine de désabonnement, que les journalistes que vous souhaitez indépendant·es la fasse s'iels n'en ont pas envie, sinon c'est du chantage.
Je trouve très pertinente cette citation :
Qui imite le mal dépasse toujours son modèle. »
On n'exigera donc pas d'un·e journaliste qu'iel reprenne une émission ou un format créé par un·e autre, même si c'était un succès, mais on lui donnera la possibilité de trouver sa propre voie pour faire l'émission ou le format qui lui convient, qui lui permet le mieux de dire et montrer ce qu'iel a à dire et montrer. C'est cela l'indépendance, et c'est cela que doit permettre le soutien financier.
Idéalement, sur le modèle de la sécurité sociale, « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », chacun contribuerait au soutien des médias indépendants pour une information indépendante, condition de la démocratie, même si chacun « consomme l'information » différemment en terme de fréquence, de thèmes, de formats, ... Le paiement à l'article ou à la vidéo va à l'encontre de ce principe de solidarité et assèche les possibilités d'initiatives et de diversité.
Les modèles économiques varient d'un média indépendant à un autre : si certains mettent toute leur production en accès libre, certains en réservent tout ou partie à leurs abonnés seulement, et certains offrent différentes formules d'abonnement pour faciliter l'accès aux petits budgets. L'idéal serait bien sûr que tous les contenus soient en accès libre, mais cela demande une pérennité des soutiens, l'assurance que chaque abonné ne paie pas juste pour soi mais aussi par conviction de la nécessité d'une information indépendance et par solidarité avec les non-abonnés. Est-ce qu'on en est là ? Pas sûr. Dans ces conditions, mérite-t-on vraiment la démocratie, si on n'est pas prêt à s'en donner les moyens, si on n'est pas prêt à y contribuer quand on le peut ?
Soutenir un média indépendant, c'est donner sa confiance aux personnes qui y travaillent, avec l'idée qu'elles feront de leur mieux. D'ailleurs chacun fait toujours de son mieux, personne ne se lève le matin en se disant « tiens aujourd'hui je vais saloper mon travail »2. Chacun a envie de bien travailler, ce qui nécessite d'avoir des conditions de travail qui le permettent. La sécurité financière en fait partie. De même qu'il est complètement stupide et contre-productif de demander aux personnels de la recherche publique de perdre leur temps à quémander des financements, il est contre-productif de mettre les personnels des médias indépendants en situation de devoir faire sans cesse appel à des financements. Brandir la menace de se désabonner au moindre désaccord est extrêmement violent et insécurisant. C'est pourtant ce qu'ont fait des abonnés quand ASI a osé critiquer Blast ou le Monde Diplomatique. Encore une fois, si vous voulez seulement de l'information qui vous plaît, écrivez-là vous-mêmes. Soutenir les médias indépendants est aussi se donner une chance de se rendre compte de ses propres aveuglements.
Le don et l'abonnement peuvent par ailleurs être vus comme des palliatifs à l'absence de salaire à vie, ou en attendant sa mise en place : on finance un média parce qu'on reconnaît à ceux qui y travaillent les qualifications nécessaires pour faire un travail de qualité et utile à notre société.
De plus, je prefère contribuer au salaire de personnes qui sont motivées par leur travail de journaliste, reporter, technicien·ne ou documentaliste, avec une éthique discutée dans un collectif de travail, plutôt que des personnes surtout motivées par faire carrière dans ces métiers. La précarité est trop souvent la rançon de l'indépendance et de l'intégrité des premières pendant que les subventions publiques et les milliardaires abreuvent largement les secondes.
La seule chose que je demande en contre-partie de mon soutien, c'est de l'honnêteté, y compris reconnaître quand on fait des erreurs, de la transparence (sur le fonctionnement, les comptes, les potentiels conflits d'intérêts) et faire de son mieux. C'est ce qu'on appelle « rendre des comptes » et c'est ce que me semblent faire régulièrement ASI et d'autres médias indépendants.
Je vous encourage donc à les soutenir dans la mesure de vos possibilités.